Stefan ZWEIG

Écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien, Stefan Zweig (1881-1942) étudie la philosophie et rejoint le mouvement d'avant-garde Jeune Vienne. Il publie son premier récit, Dans la neige, en 1901. Jusqu'en 1914, il multiplie les voyages tout en poursuivant ses activités d'écriture. Dans l'entre-deux-guerres, il défend la cause pacifiste aux côtés de Romain Rolland. En 1934, inquiété pour ses origines juives, il s'exile à Londres, puis au Brésil. En 1942, désespéré par les victoires des nazis et de leurs alliés, il se suicide en compagnie de son épouse.


Vingt-quatre heures de la vie d'Une femme de Stefan Zweig

" Jamais encore, je n'avais vu un visage dans lequel la passion du jeu jaillissait si bestiale dans sa nudité effrontée.... J'étais fascinée par ce visage qui, soudain, devint morne et
éteint tandis que la boule se fixait sur un numéro : cet homme venait de tout perdre !....Il s'élança hors du Casino. Instinctivement, je le suivis...Commencèrent alors 24 heures qui allaient bouleverser mon destin ! " 


Ce double récit de Stefan Zweig débute en 1904 dans une petite pension de la Riviera où séjournent quelques personnes bien nées. Le narrateur évoque dans quelles circonstances Madame Henriette, l'une des clientes, s'est enfuie avec un jeune homme qui n'avait pourtant passé là qu'une journée. Tout juste la jeune femme a-t-elle laissé une lettre à son mari pour expliquer son acte. Un scandale éclate dans la pension. Chaque pensionnaire y va de son propos acerbe pour critiquer l'attitude inqualifiable d'Henriette. Il n'y a guère que le narrateur pour tenter de comprendre le comportement de cette "créature sans moralité ". Il y a aussi Mrs C., une vielle dame anglaise, qui pose beaucoup de questions au narrateur. Mrs C. se décide alors de confier au narrateur quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez elle.

Mrs C. avait alors quarante deux ans et avait perdu son mari deux ans auparavant. Elle décide de se rendre à Monte Carlo et fréquente alors les casinos. Elle aime à examiner les mains des
joueurs. Ces gestes qu'elle observe lui permettent de comprendre leur personnalité sans même avoir à regarder leur visage.

Un jour, elle est fascinée par des mains magnifiques. Elle ne peut résister. Elle regarde alors ce joueur etdécouvre un beau jeune homme d'environ vingt quatre ans. Il semble totalement
anéanti car il vient de perdre tout son argent. Mrs C. l'imagine songeant au suicide. Elle décide alors de l'aider. Elle se prend d'affection pour ce jeune homme dévoré par la passion du jeu et voué à l'autodestruction. Pour la première fois depuis la mort de son mari, elle éprouve à nouveau des sentiments. Cet épisode de sa vie ne dure que vingt quatre heures. Et si cette passion foudroyante n'eut pas l'issue heureuse qu'espérait Mrs C...., elle n'en demeure pas moins un moment décisif de son existence... Seul le narrateur tente de comprendre cette " créature sans moralité ", avec l'aide inattendue d'une vieille dame anglaise très distinguée, qui lui expliquera quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez la fugitive.





« Ces deux mains frémissantes, haletantes, comme essoufflées... »
(extrait)

 « Pendant un moment, elles restèrent étendues toutes les deux sur le tapis vert, telles des méduses échouées sur le rivage, aplaties et mortes. Puis l'une d'elles, la droite, se mit péniblement à relever la pointe de ses doigts ; elle trembla, elle se replia, tourna sur elle-même, hésita, décrivit un cercle et finalement saisit avec nervosité un jeton qu'elle fit rouler d'un air perplexe entre l'extrémité du pouce et celle de l'index, comme une petite roue. Et soudain cette main s'arqua comme une panthère faisant le gros dos, et elle lança ou plutôt elle cracha presque le jeton de cent francs qu'elle tenait, au milieu du carreau noir. Tout de suite, comme sur un signal, l'agitation s'empara aussi de la main gauche qui était restée inerte : elle se réveilla, glissa, rampa même, pour ainsi dire, vers sa soeur toute tremblante que son geste semblait avoir fatigué, et toutes deux étaient maintenant frémissantes l'une à côté de l'autre : toutes deux, pareilles à des dents qui dans le frisson de la fièvre claquent légèrement l'une contre l'autre, tapotaient la table, sans bruit, de leurs jointures. Non, jamais, jamais encore, je n'avais vu des mains ayant une expression si extraordinairement parlante, une forme d'agitation et de tension si spasmodique. Sous cette grande voûte, tout le reste, le murmure qui remplissait les salons, les cris bruyant des croupiers, le va-et-vient des gens et celui de la boule elle-même, qui maintenant, lancée de haut, bondissait comme une possédée dans sa cage ronde au parquet luisant, -toute cette multiplicité d'impressions s'enchevêtrant et se succédant pêle-mêle et obsédant les nerfs avec violence, tout cela paraissait brusquement mort et immobile à côté de ces deux mains frémissantes, haletantes, comme essoufflées, en attente, grelottantes et frissonnantes, à côté de ces deux mains inouïes qui me fascinaient quasiment et accaparaient toute mon
attention. »

Stefan Zweig, Romans et nouvelles, LGF-Livre de Poche, 1991, pp.431-432







24 heures de la vie d'une femme - bande-annonce  

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